histoire du personnage ∞

Chapitre premier ; des larmes et des promesses.
« Les chaînes du mariage sont si lourdes qu'il faut être deux pour les porter. Quelquefois trois. »

Morven pleurait. Il s’était caché dans la bibliothèque du château de Lyness, invisible dans l’ombre. Ses sanglots étouffés qui résonnaient dans la grande pièce froide suffisaient néanmoins à trahir sa présence. Mais malgré ses efforts, il ne put le réprimer. Car une fois encore, son père avait fait preuve de méchanceté avec sa mère. Le petit garçon avait parfois peur du baron, et il souhaitait par-dessus tout se trouver loin de lui lorsqu’il se mettait en colère. La colère, tout comme la violence dont il était témoin au sein même de sa famille, le faisait peur, et le faisait fuir. Peut-être est-ce pour cela qu’il est devenu un jeune homme d’esprit, à défaut d’action. Quoi qu’il en soit, il savait depuis son plus jeune âge que l’amour qui règne dans les contes de fées ne liait pas sa mère et son père. Plus grand, il devina pourquoi Deirdre dormait avec lui et sa sœur, au lieu de rejoindre son mari dans le lit conjugal. Mais cette action participa à renforcer les liens profonds qui l’unissaient à sa mère, et qui lui permettraient de faire n’importe quoi pour la protéger. Il craint malgré tout que le fait d’avoir été employé comme rempart entre eux ne l’ait à jamais éloigné de son père. Était-ce pour cela qu’il le trouvait si distant, si inaccessible ? Morven n’agissait que pour plaire à son père, son modèle, - son dieu, diraient les plus sarcastiques. Il désapprouvait grandement son attitude envers sa mère, mais ne pouvait s’empêcher de l’admirer, de l’aimer même, et d’aspirer à un amour réciproque. Parfois, il rêve d’une famille idéale et se promet de connaître un mariage heureux. Mais s’il doute de la réalisation de ce vœu, il sait que dès qu’il le pourra, il éloignera sa mère de l’ire paternelle à jamais.

Chapitre deuxième ; une âme jumelle.

« J’en ai eu un ! » s’écria Morven, observant avec excitation le petit poisson se débattant vainement dans son filet. Il accourut vers Moira pour lui faire admirer sa prise. A sa grande surprise, sa jumelle en avait déjà attrapé deux, et il ne put que sourire devant l’adresse de la fillette. Leurs parties de pêche faisaient partie de ses moments préférés. Ce jour-là, ils avaient remonté le ruisseau jusqu’à trouver un endroit propice à leur activité favorite. Après beaucoup d’essais infructueux, Morven avait enfin réussi à attraper son premier poisson ! Est-ce que père en sera fier ? ne put-il s’empêcher de se demander. Mais il savait que le baron préférait le voir étudier et escrimer. Moira l’extirpa de ses réflexions en lui jetant un bâton, de la longueur d’une épée. « Tu a promis de m’apprendre ! » lui rappela-t-elle avec un sourire malicieux. Morven avait en effet accepté d’enseigner à sa jumelle tout ce que lui montrerait son maître d’arme, afin de lui faire plaisir. Mais lui-même n’était pas très talentueux dans le maniement des lames. Sa sœur ne lui laissa pas le temps d’hésiter, elle dirigea son bâton vers lui d’un geste rapide. Pas comme ça ! voulut-il lui dire en repérant la garde maladroite de sa jumelle. Mais elle ne lui laissa pas le temps de la corriger – et puis, il y aurait bien d’autres leçons. Ils luttèrent avec fougue, les pieds dans l’eau, bientôt trempés par leurs éclaboussements. Morven se retrouva finalement allongé au bord du ruisseau, demandant grâce entre deux éclats de rire.

Moira avait toujours été là. Jamais Morven ne pourrait imaginer une vie sans elle, sans cette présence jumelle indispensable, vitale. Ils avaient partagé les mêmes épreuves, les mêmes passions, les mêmes secrets. Bien qu’il ait l’impression de vivre dans son ombre, il ne s’en plaint jamais. Au contraire, il en est très satisfait. Morven ne se rend pas compte qu’en tant qu’héritier et en tant que futur homme, c’est à Moira de le suivre et non l’inverse. Il ne comprend pas non plus totalement qu’un jour, elle devrait le quitter pour rejoindre son mari et servir les intérêts de leur famille. Il pense sa présence auprès de lui acquise à jamais.

Chapitre troisième ; un nouveau logis.

Le vieux château de Lyness disparaissait progressivement, se confondant désormais avec un point informe déposé sur l’horizon. Abandonné. Morven ne put lâcher du regard sa maison, l’endroit où il avait vécu toute son enfance. « Tu te dois de connaître la cour. » lui avait dit son père. Si telle était la volonté du baron de Lyness, Morven devait s’y plier. Mais à quel prix ! Il devait quitter tout ce qu’il connaissait, sa chère île, ses habitants, les couloirs froids et obscurs qu’il avait cent fois traversés en compagnie de sa sœur. Devenir un noble de Warminster, alors qu’il avait toujours été l’héritier de Lyness, uniquement. Ce titre-là lui suffisait amplement. Au moins connaissait-il le peuple de son île, tout comme ses rivières glacées, ses plaines givrées, son froid mordant, ses vents violents. Il se concentra un instant sur les paroles de sa mère : « Tant que nous sommes ensemble, qu’est-ce qui pourrait bien avoir de l’importance ? ». Elle avait raison. Toute sa famille se rendait au cœur de l’Orcanie. Morven n’avait besoin que de sa mère et de sa sœur, le reste pouvait être ignoré tant qu’il serait avec elles. Il n’en vécut pas moins mal le changement. Il n’arrivait pas à apprécier les nobles qui l’entouraient sans cesse, même s’il essayait de se montrer digne de sa position. Il se sentait épié, menacé, au sein de ces remparts inconnus et livré à tous ces yeux étrangers. Mais il se raccrochait à ses passions : il continuait à lire et à pêcher en compagnie de Moira, ignorant encore sans le savoir ce que signifiait réellement être un noble héritier du royaume instable d’Orcanie.