histoire du personnage ∞ L’Orcanie. Ce nom résonnait sans le moindre sens pour elle. Mais c’était désormais là-bas qu’elle allait vivre. Son père, Kieran Blake, chevalier avait décidé de tenter sa chance dans les lointaines îles du nord. Il avait entendu parler d’un duc qui récompensait avec largeur ceux qui le servaient. Or le service c’était tout ce qu’il pouvait offrir. Benjamin d’une famille nombreuse, il n’avait aucun héritage qui l’attendait. Il s’était formé seul. Il avait trouvé une femme qui lui avait donné une fille avant de s’éteindre plusieurs années plus tard. Peut-être était-ce pour cela qu’il partait, aussi. Cette maison au toit de chaume lui rappelait trop son épouse.
Quoi qu’il en soit, le bateau était prêt. Tout ce qu’il possédait était dans leur maigre paquetage. Ils allaient tenter une nouvelle vie, ailleurs. Deirdre ne se souvenait pas de la durée du voyage, cela lui parut une éternité, clouée au lit par un horrible mal de mer. La première chose qu’elle aperçut quand elle toucha enfin la terre ferme, ce fut un titan de pierre. Elle n’avait jamais vu une telle citadelle cramponné dans un immense rocher noir. C’était donc cela, la demeure de ce duc ? Tout n’était que roche sombre et eau autour d’elle. Nous étions bien loin des verts pâturages d’Irlande. Une grande partie du château était en ruine mais il était suffisamment grand pour accueillir la famille du duc, ses domestiques et ses hommes d’armes. Deirdre et son père furent reçus par le duc de Lyness qui leur offrit le gîte et le couvert. Certes ils dormaient sur une paillasse dans la grande salle mais c’étaient mieux que rien. La petite maison en pierres lui manquait mais en y repensant ils avaient beaucoup de chance.
Cela ne fut pas toujours facile. Elle n’avait pas l’habitude d’être sans ses parents. A chaque instant elle s’attendait à voir apparaître sa mère et elle résistait tant bien que mal à l’envie de courir chercher son père. Les autres enfants n’étaient pas très aimables avec elle. Ils se moquaient d’elle car elle ne parlait pas leur langue. Elle faisait des efforts mais aussi beaucoup d’erreurs et elle préférait se taire.
Il ne fallu que quelques années à son père pour obtenir un fief. Pas grand-chose mais ils avaient leur propre maison à présent. Ils avaient des terres. Une toute petite île à peine éloignée de Lyness. Cet endroit lui plaisait, elle s’y sentait chez elle, elle y était libre. Tout le monde la connaissait et tout le monde lui obéissait. Elle était la maîtresse des lieux.
Ils voulaient la marier. Elle n’avait que 14 ans. Ce n’était qu’une enfant à peine nubile. Comment pouvaient-ils ? Elle ne voulait pas. Mais que pouvait-elle faire contre la volonté de son père ? Il fallait qu’elle lui parle.
« Père je vous en prie. »
« Deirdre… »Elle pleurait et il la regardait avec une profonde tendresse.
« Tu crois que je fais cela pour te faire de la peine ? Je suis vieux. Quand je mourrais, le duc donnera ce fief à un autre. Et toi tu n’auras plus rien. Tu seras toute seule. Il faut quelqu’un pour veiller sur toi. »
« Mais on peut trouver un autre moyen. Le duc serait certainement heureux de m’accueillir à la cour. »
« Le duc veut une épouse pour son fils pas d’une pupille. Cesse de pleurer, un jour tu comprendra. »Sa décision était sans appel. Mais tout n’était pas encore perdu. Elle savait que le mariage chrétien reposait sur le consentement des deux promis. Le père Jehan pouvait certainement la soutenir. Elle se rendit à l’église dès le lendemain.
« Le devoir premier d’un enfant est d’obéir à son père. »
« Mais je ne veux pas me marier. »
« Une jeune fille est faîte pour se marier. Votre père vous a trouvé un bon parti, un jeune homme fortuné, un noble seigneur qui saura vous protéger. Obéissez à votre père, c’est tout ce que l’on vous demande. »Quelle était cette religion qui mentait à ses fidèles ? Quels étaient ces hommes qui répandaient de fausses paroles ? C’était sa punition. Elle s’était détournée des dieux de ses ancêtres et elle en payait le prix. Mais cette erreur serait réparée.
Elle aurait dû se sentir honorée d’épouser le fils aîné du duc. Un jour elle deviendrait duchesse de Lyness. Mais il lui faisait peur. Aidan Percereth, aussi flamboyant que sa chevelure et au regard sombre comme le roc. Il n’était pas réputé pour sa douceur.
Jamais mariage ne fut plus sombre. Elle serrait les dents pour ne pas pleurer mais des larmes coulaient sur ses joues. Ce fut à peine si elle pu répondre « je le veux », d’ailleurs elle ne se souvenait même pas de l’avoir dit. La fête fut sans joie et elle redoutait le moment où elle devrait se retrouver seule avec son promis. Elle avait beau pleurer et le supplier rien ne l’arrêta. Elle avait peur, elle voulait juste un peu de temps, juste pour s’habituer, pour se sentir prête. Il ne fut pas ému.
Elle était enceinte. Une vie grandissait en elle. Tout le monde semblait ravi. Son père était rassuré, sa fille était mariée et elle allait donner un héritier. Le duc la félicitait sans cesse, il s’était toujours montré respectueux avec elle. Aidan… Il était jeune, pas encore quinze ans et déjà marié avec un enfant à naître. Il aspirait sans doute à autre chose. Plus de liberté peut-être. Pourtant il l’avait choisi. Quitte à se marier il avait demandé que ce soit elle sa femme. Mais elle n’avait que faire de ses sentiments. Elle allait lui donner un fils et elle ne lui devrait plus rien. De temps en temps elle recevait la visite d’Adelosa, sa belle-sœur. Elle constituait une agréable compagnie mais elle venait rarement, trop occupée à passer du temps avec Alphédor son frère bien aimé.
L’accouchement fut long. Tout le château s’agitait autour d’elle, les femmes à ses côtés et les hommes à l’extérieur. Lorsque enfin l’enfant sortit on lui annonça qu’un autre arrivait. Encore ? Finalement après bien des efforts on déposa dans ses bras une petite fille et un petit garçon. Des jumeaux, le comble du bonheur. On leur donna un nom écossais et un nom latin. La fille fut prénommée Moira Marcia et le garçon Morven Marcus. Deirdre leur donna tout son amour. Elle consacrait toutes ses journées au soin de ses tout petits. Nul ne pouvait les approcher sans son accord. Elle dormait même auprès d’eux, ce qui n’était pas du goût de son époux.
« Cela suffit ma dame. Laissez ces enfants dormir dans leur chambre. »
« Non. Ils ont besoin de moi. ils sont si petits. »
« J’ai dit cela suffit. »Deirdre se leva pour empêcher les domestiques de prendre les bébés mais Aidan la retint.
« Non ! Ils ont besoin de leur mère ! Ils ont besoin de moi ! »
« Mais moi aussi j’ai besoin de vous. » souffla-t-il avant de l’attirer à lui.
Elle le détestait. Quel besoin avait-il de venir la visiter ? Elle lui avait donner un héritier et une fille. Qu’il aille fricoter avec des catins et qu’il la laisse tranquille. Elle serait la dernière à lui reprocher son infidélité. L’idée qu’il la touche la terrorisait, l’idée qu’il pénètre en elle la dégoûtait.
Ses enfant grandissaient si vite. A peine étaient-ils capables de marcher qu’ils parlaient déjà avec enthousiasme. Ils couraient et sautaient, apprenaient à lire, à écrire et à compter. Aidan, toujours plus ambitieux, décréta qu’ils étaient en âge de voyager. La destination ne fut autre que la cour royale de Warminster. Il espérait s’y faire une place de choix dans l’entourage du roi. Une fois de plus Deirdre devait quitter son foyer vers un lieu inconnu. Mais cette fois elle n’était pas seule, elle avait ses enfants. Adelosa et Alphédor les accompagnaient également. La cour royale était bien différent de celle de Lyness. Il y avait beaucoup plus de monde, beaucoup plus de richesses et beaucoup plus d’ambition. De nombreuse opportunités pour eux. Aidan était souvent en mission pour le roi. Cela permettait à Deirdre de se consacrer à ses enfants. Pas d’époux pour forcer sa porte. Pourtant, un soir, après avoir souhaité bonne nuit à ses enfants, elle n’était pas seule dans sa chambre. Lady Adelosa l’avait attendu, toute en émoi.
« C’est idiot, mais je me sens seule quand il n’est pas là. »Elle parlait naturellement de son frère, Alphédor, avec qui elle était si fusionnelle. Il devait vraiment se passer quelque chose entre eux pour qu’elle ne parvienne pas à trouver le sommeil sans lui.
« Vous devriez dormir ma dame. »
« Je ne peux pas ! Pas toute seule. »
« Vous aimez beaucoup votre frère. Peut-être trop. »
« J’ai besoin de son amour. J’ai besoin d’être aimée. »
« Vous ne devriez pas vous inquiéter pour cela. »
« Vous croyez ? »Pour toute réponse, Deirdre lui déposa un baiser sur la joue. La toute jeune fille rougit. Deirdre s’émerveilla devant sa candeur avant que cette dernière ne l’embrasse à pleine bouche. Elle avait réellement besoin d’être aimée. A force de caresses et de baiser, elle réussit à l’apaiser et Adelosa s’endormit dans ses bras.
Ce fut au cours de cette nuit qu’elle découvrit sa préférence pour les femmes. Auparavant jamais elle n’y avait songé. Pas d’amants et encore moins d’amantes. Elle se consacrait à ses enfants son unique préoccupations. Mais ils étaient grands désormais, bientôt dix ans. Dans quelques années Morven sera un homme fait et Moira en âge de se marier. Certes ils avaient encore besoin d’elle mais plus autant, ils lui avaient fait comprendre qu’ils veillaient sur elle aussi. Une aide et un soutient mutuels. Elle avait le droit de penser à elle aussi. Et elle avait besoin de réconfort, le temps d’une nuit, goûtant au plaisir d’une peau satinée et de lèvres charnues, de passer ses doigt dans une longue chevelure soyeuse qui reposerait sur son sein.
Elle songeait à cette nouvelle et à la manière de la gérer tout en observant ses enfants dans la cour. Une présence s’approcha d’elle.
« Que regardez-vous, ma dame ? »
« Les enfants reviennent de la pêche. Ils m’avaient promis que nous mangerions du poisson ce soir. »
« Une promesse tenue à ce que je vois. Ils auront eut une journée bien remplie. »Le couple et leurs enfants avaient passé la matinée dans la bibliothèque d’une abbaye non loin de Warminster. Le genre de sortie appréciée de toute la famille. Depuis la mort du duc de Lyness ils avaient tous besoin de distraction. Le souvenir des funérailles restait vif dans les mémoires. Les deux grands-pères des enfants étaient décédés avec peu d’intervalles. Le roi aussi s’étaient éteint depuis quelques semaines et la lutte avait commencé pour s’emparer du trône. Trois prétendants s’opposaient et le pays était sous tension. La cour ne savait vers qui se tourner et déjà les premières factions se formaient. Aussi les distractions étaient les bienvenues.
« Une journée qui s’achève. Ils sont fiers de leur pêche, leur panier déborde ! »
« Que vous êtes belle quand vous souriez ma dame. » murmura-t-il en glissant sa main dans ses cheveux.
Elle frissonna à son contact mais elle ne put dire s’il s’agissait de dégoût ou de plaisir. Sans doute un savant mélange des deux. Le temps lui avait appris à ne plus le détester. L’aimer elle n’en était pas certaine mais elle ne le haïssait plus. Elle savait qu’il n’était pas son ennemi et qu’il incluait sa famille dans ses ambitions. Il glissa ses bras autour de sa taille. Elle se laissa prendre. Elle ne se débattait plus, elle ne luttait plus mais elle ne réclamait pas pour autant. Un jour peut-être.